Entreprenariat Educatif Européen
      

L'entreprise a sa part à prendre dans la formation des jeunes! (AEDE, Rennes, oct. 2012 / Beijing, oct. 2013)

LA RESPONSABILITE SOCIALE DES ENTREPRISES

Présenté par Nelly GUET

Chef d’établissement pendant 22 ans (2 écoles maternelles et primaires, 3 collèges et 3 lycées, en France et à l’étranger), membre du Bureau Exécutif d’ESHA Europe (2004-2007), Vice-présidente de l’AEDE France (2007-2008), Membre du Conseil d’ICP–International Confederation of Principals -depuis 2004.

Nelly Guet a participé au niveau européen à de nombreux groupes de pilotage, impliquant des entreprises partenaires. Elle a été, pendant 2 ans, membre du CODICE - Comité interministériel Economie / Education Nationale -, devant promouvoir l’économie à l’école.

La société Alerteducation Consulting est une société de conseil et de formation pour l’enseignement des langues, des sciences et technologies, de l’économie et de la finance, de l’entrepreneuriat. Elle propose des services aux écoles, aux professeurs, aux directeurs d’établissement mais aussi aux parents, aux entreprises et aux collectivités territoriales.

Considérer en France l’entreprise comme partie prenante de la formation initiale des jeunes ne va pas de soi !

Et pourtant ! Le célèbre proverbe africain ne dit-il pas «  il faut tout un village pour élever un enfant » et la Commission Européenne de déclarer, en 2007, quand il s’est agi de sonder toutes les populations d’Europe sur l’école du XXIe siècle : « Do not confine your children to your own learning, for they were born at another time ! » (Ne confinez pas vos enfants dans votre propre manière d’apprendre car ils sont nés à une autre époque ».

 

Le but de ce bref exposé est de donner des pistes de recherche à ceux qui sont intéressés par un benchmark avec les pays européens.

« Benchmarker », ce n’est pas copier un modèle, c’est tout d’abord identifier chez soi un point ou plusieurs que l’on veut améliorer.

On nous parle souvent du système dual allemand c’est-à-dire de l’alternance école/entreprise. Pour ma part, j’ai organisé un stage d’une semaine pour une cinquantaine de chefs d’établissement de l’Académie de Toulouse et leur Recteur – le Recteur Joutard - lorsque j’étais proviseur du lycée de Berlin en 1994. Nous avons découvert l’organisation de ce système dual : comme vous voyez c’était quasiment il y a 20 ans et personne ne s’en est inspiré depuis.

Deux écueils sont à éviter :

  • Vouloir copier un modèle

  • Renoncer en prétendant qu’un contexte historique différent ne s’y prête pas !

Pourquoi en sommes-nous  ? D’après André de Peretti, qui a introduit notre colloque ce matin, il nous faut remonter à la situation de l’Ancien Régime pour comprendre les blocages actuels.

La première question à se poser est donc : Que voulons-nous changer ?

La première étape consiste à analyser sa propre situation de manière critique. Afin que nos amis européens, venus de Scandinavie, de Hongrie, d’Italie, d’Espagne, présents à nos côtés ce jour, se familiarisent avec notre système, nous le résumerons ainsi :

  1. Les publics scolaires

Il faut savoir qu’en France les publics scolaires placés en situation d’alternance

sont, soit des élèves dont on a remarqué les difficultés d’apprentissage dès l’enfance , auxquels on essaiera de faire découvrir un métier dès l’âge de 14 ans, soit ceux - en petit nombre - qui accèdent aux meilleures filières de l’enseignement supérieur intégrant des périodes de formations en entreprise, et le plus souvent une expérience de l’international. Entre ces deux extrêmes, le public scolaire identifié en troisième (à 15 ans) comme ayant certaines difficultés avec l’enseignement général et éventuellement un certain intérêt pour les sciences et les technologies, fera également quelques semaines de stage en entreprise, avant d’obtenir un baccalauréat professionnel ou technologique.

La grande majorité des élèves de l’enseignement général devra donc se contenter de participer à des forums, à des carrefours des métiers, des interventions en classe d’entrepreneurs, des visites en entreprise, … dans le meilleur des cas à la création d’une mini entreprise. Mais tous n’auront pas cette chance de passer à l’action, loin s’en faut !

  1. La formation des enseignants

Aucune expérience en entreprise n’est exigée, pas même de la part des enseignants de sciences économiques et sociales : discipline spécifiquement française, crée en 1967, qui allie la science politique, la sociologie et la macro-économie mais n’intègre pas, à sa juste valeur, l’économie d’entreprise.

  1. La formation des personnels de direction et des autres cadres éducatifs

J’ai eu la chance d’être recrutée en 1988, avant l’introduction du concours de recrutement et de bénéficier d’une formation de six mois, avant de devenir chef d’établissement. Celle-ci comprenait un stage en entreprise de six semaines, réparties sur six mois -  que j’ai effectué chez Hewlett-Packard. L’objectif était d’analyser les possibilités de transfert des pratiques professionnelles observées dans l’entreprise vers l’établissement scolaire, en matière de recrutement du personnel, de gestion de carrière, de formation, de communication, de S.A.V …

Par la suite, les personnels de direction stagiaires ont dû se contenter de deux semaines de stage en entreprise, peu valorisées dans leur formation.

 

RAPPEL : Les objectifs européens de la stratégie Europe 2020 qui succède à celle de Lisbonne 2000, « pour une croissance intelligente, durable et inclusive » nous donnent la feuille de route :

  • lutter contre le décrochage précoce : nous avons en France 13 % de jeunes concernés, soit 150 000 par an, sortant du système éducatif sans qualification : UNE PRIORITE !

  • «  faire des entrepreneurs » : je vous invite à consulter : http://www.alerteducation.eu/files/oslo_report_final_2006.pdf

le rapport de la Conférence d’Oslo qui avait permis en 2006 de faire connaître toutes les initiatives mises en place par les pays européens pour rapprocher l’école de l’entreprise... et mobiliser les élèves sur leur avenir.

  • « faire des scientifiques » : En novembre 2008, lors de la Présidence Française de l’Union Européenne, l’année où le rapport Rocard avait été publié, l’AEDE-France avait organisé deux jours de conférence « européenne » : http://www.aede-france.org/seminaire-25-10-2008.html

La deuxième journée du colloque portait sur des perspectives d’action et nous avions présenté ce que faisait Volvo en matière de RSE, dans le cadre d’un projet européen piloté par la fondation IBM « Science in schools » réunissant un grand nombre d’entreprises (Volkswagen, BASF, …). Je représentais l’AEDE dans ce groupe de pilotage qui a permis de diffuser de multiples initiatives mises en place dans 11 pays européens (sans la France) : http://www.alerteducation.eu/en/content/when-business-world-and-education-decide-collaborate

  • faire progresser le taux d’accès d’une classe d’âge au niveau bac+5 : d’abord 40 % puis le plus rapidement possible 50 %.

En France, nous en sommes à 27 %

 

Constat : nous avons une jeunesse mal préparée aux enjeux économiques et sociaux qui l’attendent

Problème identifié : l’absence de transfert de l’entreprise vers l’établissement scolaire en termes de leadership dessert l’intérêt des élèves.

 

  • Les personnels : si je me réfère à mon stage chez Hewlett Packard en 1988 et aux nombreuses années passées avec mes collègues chefs d’établissements d’autres pays – de 1998 à 2012 - à étudier la question, je dois reconnaître que l’on ne mesure pas assez en France l’impact du leadership sur l’organisation interne de l’établissement et sur les résultats des élèves.

  • La gestion administrative, telle que nous la connaissons en France, ne permet, ni réel management des ressources humaines, ni vision stratégique, ni mesure des résultats. L’organisation hiérarchique ne permet pas d’accorder aux établissements du premier et du second degré, l’autonomie et la marge de manœuvre qui leur permettraient de s’affranchir des programmes disciplinaires nationaux et des prescriptions d’utilisation des moyens. Je rappelle que dans les autres pays les directeurs d’écoles sont des chefs d’établissement à part entière comme leurs collègues du second degré.

  • Les parents : l’absence de communication sur la valeur ajoutée, par chaque établissement scolaire, prive les parents français des outils qui leur permettraient d’évaluer la performance de l’école de leur enfant. Dans les autres pays, par exemple aux Pays-Bas, les deux associations de chefs d’établissement travaillent de manière étroite avec le Secrétaire d’État chargé de l’Education. L’évaluation des établissements est pilotée conjointement, ce qui permet à chaque parent d’avoir accès aux informations dont il a besoin.

  • Les élèves : l’absence de diversification des rythmes de travail ne permet pas de préparer les jeunes générations à la nouvelle manière de travailler, au « new world of work », où la fracture travail/ loisirs a été profondément modifiée, où les compétences attendues au XXIe siècle ont très peu en commun avec des rythmes de travail imposés, laissant peu éclore l’initiative personnelle, l’engagement de la personne, sa capacité à mener à bien un projet dans un temps qui lui est propre. Cette cloison étanche entre les deux mondes génère une spécificité française, un domaine réservé que l’on appelle « orientation », caractérisée par une inadaptation des moyens mis en œuvre à la fois pour l’insertion professionnelle et la formation continue.

Un exemple :

Nous étions l’an dernier – 50 collègues chefs d’établissement du monde entier, membres du Conseil de ICP - à Amsterdam, au siège européen de Microsoft, où nous avons passé une bonne partie de la journée à étudier son fonctionnement. Alors que Microsoft compte 900 salariés, l’immeuble construit ne peut contenir que 450 salariés : on peut s’en étonner mais lorsque l’on sait que chaque salarié n’a une obligation de présence que d’une fois par mois, on comprend mieux. Des échanges avec les personnels nous ont permis de découvrir une conception du travail qui n’a rien en commun avec celle de nos établissements scolaires qui fonctionnent encore sur le mode frontal, engendrant la passivité de l’élève, en l’absence du maître.

Une formule à retenir: « Make work having a conversation: facilitating, creating a community. I come to the office to meet customers, colleagues, inspiration. To work, it is better at home.”

Les « flipping classrooms » dont il est beaucoup question en ce moment, en Europe, s’inspirent de ce principe : le travail des élèves se fait en amont, en classe « on communique ! »

 

 

La France devrait tenir compte des recommandations européennes et considérer l’entreprise comme « un révélateur de talents »

 

Les initiatives qui ont réussi sont le plus souvent issues d’un partenariat public-privé permettant à une Fondation d’initier le changement, sous forme de :

  • formation au leadership et au travail en partenariat dans la formation continue des enseignants : ex MODUS 21 en Bavière.

  • entrepreneuriat dès l’école primaire grâce aux sciences : L’objectif est d’aider les écoles à renforcer l’attractivité de leur programme de sciences en utilisant une grande variété d’activités et en permettant également aux élèves d’acquérir une meilleure compréhension de leurs perspectives de carrière dans l’industrie et la technologie. Nous avons présenté successivement plusieurs initiatives européennes : en 2006, au Salon Educatec, « Hands on, brains on » (8 pays sans la France), « Science is primary » (Pays-Bas), en 2008 « Science in schools » de la Fondation IBM, soutenue par la Commission et European Schoolnet, puis, toujours au nom de l’AEDE-France, en 2010, au forum du Medef nous avions fait témoigner professeur, chef d’établissement et formateur de leur expérience s’appuyant sur la Fondation JetNet, créée par Philips, qui réunit un très grand nombre d’entreprises : vous trouverez des exemples de cette collaboration avec les écoles primaires et secondaires des Pays-Bas en suivant ce lien : http://www.jet-net.nl/?pid=76 . Les informations disponibles sont au format pdf et téléchargeables. A ma connaissance, en France, seule l’expérimentation Mobi 3 –mise en place en 2007/08 par IBM, Dassault, Nokia, SFR, et un cabinet d’avocats, dans le cadre de l’option DP3, – que nous avons présentée en 2008 à Educatec, toujours au nom de l’AEDE - implique de cette manière l’entreprise dans les contenus de formation.

  • entrepreneuriat dès l’école primaire en matière d’économie-finance Vous voyez ces petites tirelires Kinder Cash qui permettent dès l’âge de quatre ans en Allemagne, en Suisse, mais aussi ailleurs de former le jeune enfant à l’apprentissage de l’argent et à la gestion financière, le conduisant peu à peu, au fil des années à s’approprier des compétences sur l’économie d’un pays.

  • L’enquête PISA s’est étendue en 2012 aux compétences financières des élèves de 15 ans dans 18 pays de l’OCDE, dont la France. Un séminaire international a été organisé par l’OCDE à Madrid le 7 mai 2012, permettant à toutes les parties prenantes d’échanger sur leurs pratiques : enseignants, chefs d’établissement, parents, chefs d’entreprises produisant des matériels didactiques, responsables institutionnels, chercheurs, … Puis une Conférence a réuni, les 10 et 11 mai, des participants de 68 pays sur le thème de l’éducation financière, mais aussi de l’inclusion sociale, de la retraite par capitalisation... Aucun officiel français n’était présent. Il s’agissait pourtant d’étudier l’aide que peuvent fournir les Etats dans cette compréhension des mécanismes financiers de plus en plus sophistiqués afin de permettre à chacun d’être en mesure de gérer sa vie avec des perspectives d’avenir : il est vrai qu’au même moment les Français venaient d’élire un Président considérant « la finance, comme un ennemi invisible ».

  • En Allemagne, la maison d’édition Universum met à disposition des professeurs d’économie mais aussi des autres disciplines, dans le cadre de la Fondation Jugend und Bildung, des contenus de formation en finance et sciences sociales qui proviennent à la fois des entreprises et des pouvoirs publics : sur le site Lehrer on line les professeurs trouvent des cours en ligne, des projets, du matériel pédagogique pour l'enseignement de l’économie et de la finance mais aussi sur tous les sujets de société : http://www.jugend-und-bildung.de http://www.lehrer-online.de

  • Le « permis de conduire de l’entrepreneur » proposé par la Chambre de commerce de Vienne en Autriche, http://www.alerteducation.eu/node/525 , reconnu par la Commission Européenne comme un dispositif clé permettant de développer toutes les compétences « entrepreneuriales » mais aussi « intrapreneuriales » c’est-à-dire pas seulement indispensables au futur créateur d’entreprise mais aussi à celui qui va travailler dans une entreprise, là où l’on aura aussi besoin de ces mêmes compétences : organisation, animation, prise de décision, travail en équipe, confiance en soi, …

  • Last but not least : chemin faisant, « learning by doing », les compétences en langues étrangères s’améliorent, car le travail collaboratif en ligne que nous venons de présenter permet de travailler dans plusieurs langues (tout au moins en anglais), de développer de l’autonomie, de la curiosité, et d’utiliser internet au quotidien, à des fins de formation.

 

Conclusion : il est urgent de mettre en place un travail en collaboration avec le monde entrepreneurial : les entreprises doivent être autorisées à proposer des contenus de formation, elles doivent également être davantage impliquées dans l’évaluation des compétences, lorsque des périodes de stage sont mises en place.

 

Permettez-moi de formuler plusieurs vœux !

Je souhaite que les professeurs ici présents ne voient plus, comme c’est trop souvent le cas, des élèves en salle de permanence, les bras croisés, attendant le cours suivant, n’imaginant pas comment travailler seuls.

Je souhaite que les chefs d’établissement ici présents ne relèvent plus dans les libellés des appréciations scolaires sur les bulletins, des remarques que l’on pourrait dupliquer à l’infini : « manque de travail personnel », « manque de concentration en classe » « trop de bavardages », …

Je souhaite que les collectivités territoriales construisent des bâtiments scolaires adaptés aux nouvelles formes de travail du XXIe siècle, nécessitant de grands espaces ouverts – « open space » - , utilisés à certains moments de la journée pour offrir la possibilité, dans un même lieu, d’organiser des activités très diversifiées : ici, un groupe d’élèves s’impliquant dans une expérience scientifique ou dans une répétition de pièce de théâtre en langue étrangère, là un autre groupe préparant un dossier à plusieurs, nécessitant la mise en commun de ressources documentaires, là encore des élèves isolés, répondant à un questionnaire sur leurs tablettes PC, d’autres concentrés individuellement sur un exercice de mémorisation, là enfin un professeur, jouant le rôle de coach, vérifiant de manière approfondie les connaissances, compétences et attitudes d’un élève, lors d’un entretien individualisé, d’au moins 20 minutes.

 

« L’effet maître » est, comme nous le savons, primordial mais le maître doit apprendre à modifier ses pratiques, tout au long de sa carrière, et nous tous, ici réunis, en tant qu’Européens convaincus, nous le savons  : de cette exigence découle une nécessité de réformer la formation des enseignants et des chefs d’établissement afin de transformer nos établissements en « communauté apprenante » - « learning community » - grâce à l’acquisition de compétences professionnelles et à la volonté de se former tout au long de la vie.

 

Je vous remercie.

Vidéo

 

 

Diaporama

Format PDF disponible ici.


 

Dans son livre : "Virage européen ou mirage républicain? Quel avenir voulons-nous?", Nelly Guet démontre la sclérose du système éducatif français et fait des propositions européennes.