Entreprenariat Educatif Européen
      

La place de l'entreprise dans les systèmes éducatifs européens : comparatif Europe-France

LA PLACE DE L ENTREPRISE DANS LES SYSTEMES EDUCATIFS EUROPEENS COMPARATIF EUROPE FRANCE

 

Nelly Guet : Chef d’établissement pendant 22 ans (2 écoles maternelles et primaires, 3 collèges et 3 lycées, en France et à l’étranger), membre d’associations professionnelles de chefs d’établissements scolaires depuis 1998 (Bureau Exécutif d’ESHA Europe (2004-2007), Vice-présidente d’ESHA France, puis de l’AEDE France, Membre du Conseil d’ICP -International Confederation of Principals -depuis 2004.

 

Nelly Guet a participé au niveau européen à de nombreux groupes de pilotage, impliquant des entreprises partenaires. Elle a été, pendant 2 ans (2007 et 2008), membre du CODICE - Comité interministériel Economie / Education Nationale -, devant promouvoir l’économie à l’école.

 

Considérer en France l’entreprise comme partie prenante dans la formation initiale des jeunes ne va pas de soi !

 

Le but de ce bref exposé est de donner des pistes de progrès grâce à un benchmark avec les pays européens.

« Benchmarker », ce n’est pas copier un modèle, c’est tout d’abord identifier chez soi un point ou plusieurs que l’on veut améliorer.

On nous parle souvent du système dual allemand c’est-à-dire de l’alternance école/entreprise et de l’apprentissage. Pour ma part, j’ai organisé un stage d’une semaine pour une cinquantaine de chefs d’établissement de l’Académie de Toulouse et leur Recteur – le Recteur Joutard - lorsque j’étais proviseur du lycée de Berlin en 1994. Nous avons découvert l’organisation de ce système dual : comme vous voyez c’était quasiment il y a 20 ans et personne ne s’en est inspiré depuis. Pour quelle raison ?

Deux écueils sont à éviter :

  • Vouloir copier un modèle

  • Renoncer en prétendant qu’un contexte historique différent ne s’y prête pas

 

Pourquoi en sommes-nous là ? André de Peretti, que je cite plusieurs fois dans mon livre explique qu’il nous faut remonter à la situation de l’Ancien Régime pour comprendre les blocages actuels.

 

La première question à se poser est donc : Que voulons-nous changer ?

La première étape consiste à analyser sa propre situation de manière critique.

 

1. Les publics scolaires

Il faut savoir qu’en France les publics scolaires placés en situation d’alternance

sont, soit des élèves dont on a remarqué les difficultés d’apprentissage dès l’enfance auxquels on essaiera de faire découvrir un métier dès l’âge de 14 ou 15 ans, soit ceux - en petit nombre - qui accèdent aux meilleures filières de l’enseignement supérieur intégrant des périodes de formations en entreprise, et le plus souvent une expérience de l’international. Entre ces deux extrêmes, le public scolaire identifié en troisième (à 15 ans) comme ayant certaines difficultés avec l’enseignement général (exception faite des élèves ayant le projet de devenir Compagnon du Devoir) et éventuellement un certain intérêt pour les sciences et les technologies, fera également quelques semaines de stage en entreprise, avant d’obtenir un baccalauréat professionnel ou technologique.

 

La grande majorité des élèves de l’enseignement général devra donc se contenter de participer à des forums, à des carrefours des métiers, des interventions en classe d’entrepreneurs, des visites en entreprise, … dans le meilleur des cas à la création d’une mini entreprise. Mais tous n’auront pas cette chance de passer à l’action, loin s’en faut !

 

2. La formation des enseignants

Aucune expérience en entreprise n’est exigée, pas même de la part des enseignants de sciences économiques et sociales : discipline spécifiquement française, crée en 1967, qui allie la science politique, la sociologie et la macro-économie mais n’intègre pas, à sa juste valeur, l’économie d’entreprise.

 

3. La formation des personnels de direction et des autres cadres éducatifs

J’ai eu la chance d’être recrutée en 1988, avant l’introduction du concours de recrutement et de bénéficier d’une formation de six mois, avant de devenir chef d’établissement. Celle-ci comprenait un stage en entreprise de six semaines, réparties sur six mois - que j’ai effectué chez Hewlett-Packard. L’objectif était d’analyser les possibilités de transfert des pratiques professionnelles observées dans l’entreprise vers l’établissement scolaire, en matière de recrutement du personnel, de gestion de carrière, de formation, de communication, de S.A.V Par la suite, les personnels de direction stagiaires ont dû se contenter de deux semaines de stage en entreprise, peu valorisées dans leur formation.

 

RAPPEL : Les objectifs européens de la stratégie Europe 2020 qui succède à celle de Lisbonne 2000, « pour une croissance intelligente, durable et inclusive » nous donnent la feuille de route :

 

le rapport de la Conférence d’Oslo qui avait permis en 2006 de faire connaître toutes les initiatives mises en place par les pays européens pour rapprocher l’école de l’entreprise et mobiliser les élèves sur leur avenir.

 

  • « faire des scientifiques » :  En 2008 le rapport Rocard a permis de dresser un état des lieux et de définir des pistes communes. J’ai, à cette époque fait partie du comité de pilotage du projet européen mené par la fondation IBM « Science in schools » réunissant un grand nombre d’entreprises (Volkswagen, Volvo, BASF, …) : 11 pays, sans la France

 

  • faire progresser le taux d’accès d’une classe d’âge au niveau bac+5 : d’abord 40 % puis le plus rapidement possible 50 %.  En France, nous en étions à 27 % en 2010 (car il est erroné de comptabiliser les formations Bac+2).

  • Faire en sorte qu’à l’issue de l’enseignement secondaire, chacun soit désireux de se former tout au long de la vie.

 

Constat : nous avons une jeunesse mal préparée aux enjeux économiques et sociaux qui l’attendent.

Problème identifié : l’absence de transfert de l’entreprise vers l’établissement scolaire en termes de leadership dessert l’intérêt des élèves.

 

  • Les personnels : si je me réfère à mon stage chez Hewlett Packard en 1988 et aux nombreuses années passées avec mes collègues chefs d’établissements d’autres pays – de 1998 à 2012 - à étudier la question, je dois reconnaître que l’on ne mesure pas assez en France l’impact du leadership sur l’organisation interne de l’établissement et sur les résultats des élèves.

 

  • La gestion administrative, telle que nous la connaissons en France, ne permet, ni réel management des ressources humaines, ni vision stratégique, ni mesure des résultats. L’organisation hiérarchique ne permet pas d’accorder aux établissements du premier et du second degré, l’autonomie et la marge de manœuvre qui leur permettraient de s’affranchir des programmes disciplinaires nationaux et des prescriptions d’utilisation des moyens. Je rappelle que dans les autres pays les directeurs d’écoles sont des chefs d’établissement à part entière comme leurs collègues du second degré.

 

  • Les parents : l’absence de communication sur la valeur ajoutée, par chaque établissement scolaire, prive les parents français des outils qui leur permettraient d’évaluer la performance de l’école de leur enfant. Dans les autres pays, par exemple aux Pays-Bas, les deux associations de chefs d’établissement travaillent de manière étroite avec le Secrétaire d’État chargé de l’Education. L’évaluation des établissements est pilotée conjointement, ce qui permet à chaque parent d’avoir accès aux informations dont il a besoin.

 

  • Les élèves : l’absence de diversification des rythmes de travail ne permet pas de préparer les jeunes générations à la nouvelle manière de travailler, au « new world of work », où la fracture travail/ loisirs a été profondément modifiée, où les compétences attendues au XXIe siècle ont très peu en commun avec des rythmes de travail imposés, laissant peu éclore l’initiative personnelle, l’engagement de la personne, sa capacité à mener à bien un projet dans un temps qui lui est propre. Cette cloison étanche entre les deux mondes génère une spécificité française, un domaine réservé que l’on appelle « orientation », caractérisée par une inadaptation des moyens mis en oeuvre à la fois pour l’insertion professionnelle et la formation continue.

 

Un exemple :

J’étais en 2011, avec 50 collègues chefs d’établissement du monde entier, membres du Conseil de ICP - à Amsterdam, au siège européen de Microsoft dont nous avons passé une bonne partie de la journée à étudier le fonctionnement. Alors que Microsoft compte 900 salariés, l’immeuble construit ne peut contenir que 450 salariés : on peut s’en étonner mais lorsque l’on sait que chaque salarié n’a une obligation de présence que d’une fois par mois, on comprend mieux. Des échanges avec les personnels nous ont permis de découvrir une conception du travail qui n’a rien en commun avec celle de nos établissements scolaires qui fonctionnent encore sur le mode frontal, engendrant la passivité de l’élève, en l’absence du maître.

Une formule à retenir: « On va au bureau pour communiquer avec les clients, les collègues… et faire partie d’une communauté. Pour travailler, on est mieux chez soi. »

Les «classes inversées », de plus en plus répandues en Europe, s’inspirent de ce principe :

« le travail des élèves se fait en amont, en classe, «on communique ! »

 

La France devrait tenir compte des recommandations européennes et considérer l’entreprise comme « un révélateur de talents »

Les initiatives qui ont réussi sont le plus souvent issues d’un partenariat public-privé permettant à une Fondation d’initier le changement, sous forme de :

 

  • formation au leadership et au travail en partenariat dans la formation continue des enseignants : “MODUS 21 (MODUS F)” experimentation conduite conjointement par le Ministère de l’Education Bavarois  et des entreprises : http://bildungspakt-bayern.de/

 

  • entrepreneuriat dès l’école primaire grâce aux sciences : L’objectif est d’aider les écoles à renforcer l’attractivité de leur programme de sciences en utilisant une grande variété d’activités et en permettant également aux élèves d’acquérir une meilleure compréhension de leurs perspectives de carrière dans l’industrie et la technologie. J’ai présenté en France plusieurs initiatives européennes : en 2006, au Salon Educatec, « Hands on, brains on » (8 pays sans la France), « Science is primary » (Pays-Bas), en 2008 « Science in schools » de la Fondation IBM, puis, en 2010, au forum du Medef la Fondation JetNet, créée par Philips, qui réunit un très grand nombre d’entreprises : vous trouverez des exemples de cette collaboration avec les écoles primaires et secondaires des Pays-Bas en suivant ce lien : http://www.jet-net.nl/english. Les informations disponibles sont au format pdf et téléchargeables.

 

A ma connaissance, en France, seule l’expérimentation Mobi 3 –mise en place en 2007/08 par IBM, Dassault, Nokia, SFR, et un cabinet d’avocats, dans le cadre de l’option DP3, – que j’avais alors présentée en 2008 à Educatec, implique, de cette manière, l’entreprise dans les contenus de formation.

 

  • Entrepreneuriat dès l’école primaire en matière d’économie-finance

Dès l’âge de quatre ans en Allemagne, en Suisse, aux Pays Bas, dans les pays nordiques, et ailleurs…on former le jeune enfant à l’apprentissage de l’argent et à la gestion financière, le conduisant peu à peu, au fil des années à s’approprier des compétences sur l’économie d’un pays.

 

L’enquête PISA s’est étendue en 2012 aux compétences financières des élèves de 15 ans dans 18 pays de l’OCDE, dont la France. Je participe depuis cette date aux Conférences internationales organisées par l’OCDE dans différents pays. Elles réunissent des participants (responsables institutionnels, experts, chercheurs,..) d’une soixantaine de pays sur le thème de l’éducation financière, mais aussi de l’inclusion sociale et de la retraite par capitalisation : http://www.financial-education.org

Peu d’officiels français sont présents. Il s’agit pourtant d’étudier l’aide que peuvent fournir les Etats dans cette compréhension des mécanismes financiers de plus en plus sophistiqués afin de permettre à chacun d’être en mesure de gérer sa vie avec des perspectives d’avenir. Comme pour les autres épreuves, l’enquête PISA ne cherche pas à évaluer les capacités des élèves à reproduire ce qu’ils ont appris mais bien plutôt à examiner dans quelle mesure ils sont capables d'extrapoler à partir de leurs acquis et d'appliquer leurs connaissances dans des environnements nouveaux qui ne leur sont pas familiers, qui peuvent se trouver à l'école mais aussi à l'extérieur de l'école. 

Les résultats de l’enquête PISA de 2012 ont été rendus publics le 9 juillet 2014. Les élèves français ont obtenu des résultats inférieurs à la moyenne des pays de l’OCDE. Les résultats révèlent de grandes inégalités : si l’on mesure les résultats en fonction de l’origine socio-économique des familles, la France se situe au 16e rang sur 18. Le ministre Vincent Peillon a décidé, dès 2013, de retirer les élèves français du panel pour l’épreuve suivante en 2015, feignant d’ignorer à quel point ces compétences financières sont devenues indispensables pour tout un chacun.

  • De nombreux supports pédagogiques sont disponibles, grâce à l’ONG Child and Youth Finance International http://childfinanceinternational.org/  qui organise des formations pour élèves et professeurs, dans le monde entier, grâce à des partenariats public-privé, afin de promouvoir l’inclusion sociale par l’éducation financière.

 

  • En Allemagne, la maison d’édition Universum met à disposition des professeurs d’économie mais aussi des autres disciplines, dans le cadre de la Fondation Jugend und Bildung, des contenus de formation en finance et sciences sociales qui proviennent à la fois des entreprises et des pouvoirs publics : sur le site Lehrer on line les professeurs trouvent des cours en ligne, des projets, du matériel pédagogique pour l'enseignement de l’économie et de la finance mais aussi sur tous les sujets de société : http://www.jugend-und-bildung.de http://www.lehrer-online.de

 

  • De 12 à 18 ans, les élèves peuvent participer à deux initiatives européennes réunies depuis peu : le dispositif de mini-entreprises de JA – YE, Junior Achievement - Young Enterprise  et le « permis de conduire de l’entrepreneur » proposé par la Chambre de commerce de Vienne en Autriche. Ils obtiennent ainsi le passeport :Entrepreneurial Skills Pass®, ®”  qui leur permet d’acquérir toutes les compétences « entrepreneuriales » mais aussi « intrapreneuriales » c’est-à-dire pas seulement indispensables au futur créateur d’entreprise mais aussi à celui qui va travailler dans une entreprise, là où l’on aura aussi besoin de ces mêmes compétences : organisation, animation, prise de décision, travail en équipe, confiance en soi : http://www.unternehmerfuehrerschein.at/Content.Node/index.en.html

Conclusion :

Une première remarque :  chemin faisant, « learning by doing », les compétences en langues étrangères s’améliorent, car le travail collaboratif en ligne que nous venons de présenter permet de travailler dans plusieurs langues (tout au moins en anglais), de développer de l’autonomie, de la curiosité, et d’utiliser internet au quotidien, à des fins de formation.

 

Pour toutes ces raisons, il est urgent de mettre en place un travail en collaboration avec le monde entrepreneurial : les entreprises doivent être autorisées à proposer des contenus de formation, elles doivent également être davantage impliquées dans l’évaluation des compétences, lorsque des périodes de stage sont mises en place.

 

C’est ainsi que nous pouvons espérer :

  • Que des élèves en salle de permanence, n’attendront plus les bras croisés le cours suivant car ils n’’imaginent pas comment travailler seuls.

  • Que les chefs d’établissement ne relèveront plus dans les libellés des appréciations scolaires sur les bulletins, des remarques que l’on pourrait dupliquer à l’infini : « manque de travail personnel », « manque de concentration en classe » « trop de bavardages », …

  • Que les enseignants pourront modifier leurs pratiques, tout au long de leur carrière

  • Que les collectivités territoriales construiront des bâtiments scolaires adaptés aux nouvelles formes de travail du XXIe siècle, nécessitant de grands espaces ouverts – « open space » - , utilisés à certains moments de la journée pour offrir la possibilité, dans un même lieu, d’organiser des activités très diversifiées : ici, un groupe d’élèves s’impliquant dans une expérience scientifique ou dans une répétition de pièce de théâtre en langue étrangère, là un autre groupe préparant un dossier à plusieurs, nécessitant la mise en commun de ressources documentaires, là encore des élèves isolés, répondant à un questionnaire sur leurs tablettes PC, d’autres concentrés individuellement sur un exercice de mémorisation, là enfin un professeur, jouant le rôle de coach, vérifiant de manière approfondie les connaissances, compétences et attitudes d’un élève, lors d’un entretien individualisé, d’au moins 20 minutes.

 

En l’absence de stratégie nationale, que peut-on faire ?

Ce qu’il est convenu d’appeler les « rythmes scolaires » offre une opportunité à saisir par les élus municipaux en charge des « temps d’activités périscolaires ». A défaut d’introduire l’acquisition des compétences que nous venons d’identifier, dans les programmes d’enseignement, il est possible de faire découvrir à des enfants de 5  à 12 ans des contenus adaptés à leur âge,  et grâce à des activités de groupe, de les faire mettre en pratique les compétences acquises en développant leurs capacités d’organisation et de communication.


 

Dans son livre : "Virage européen ou mirage républicain? Quel avenir voulons-nous?", Nelly Guet démontre la sclérose du système éducatif français et fait des propositions européennes.